Sophie Archambault

Sophie a consacré son mémoire de maîtrise en études littéraires à l’analyse de la ritualité dans le roman symboliste Bruges-la-Morte de Georges Rodenbach. Ayant toujours été fascinée à la fois par la nature et par ce qui dépasse l’être humain, elle poursuit actuellement ses recherches au doctorat en études littéraires à l’UQAM sur les relations entre le sacré et le végétal dans l’œuvre romanesque de Dominique Fortier. Son travail vise à repenser les liens entre l’humain, le spirituel et les plantes à l’ère de l’extrême contemporain.
Description du projet de thèse
Depuis la fin du XXe siècle, une prise de conscience écologique a transformé notre perception de l’environnement, et plus particulièrement du végétal. Longtemps perçues comme dangereuses et mystérieuses, les plantes sont maintenant envisagées de manière plus sensible : elles possèdent leur propre manière d’être au monde et de communiquer (Marder, 2021). Ce déplacement du regard ouvre la voie à une redéfinition du végétal dans les sciences et les arts.
À cet effet, l’œuvre romanesque de Dominique Fortier met en récit la capacité des plantes à générer une profondeur de sens qui guide l’existence des personnages. Qu’il s’agisse du champ de coton, de l’arbre, de la forêt, de l’herbier, du marais, du jardin ou des feuilles de thé, le végétal met en lumière le rapport des personnages à ce qui les dépasse. Il incite à la contemplation, structure un rapport au temps, à l’espace et à la vie, et appuie leur quête existentielle. Face aux plantes, les personnages font l’expérience de l’altérité, ce qui est au cœur de l’expérience du sacré (Eliade, 1965). Nous pouvons nous demander comment l’imaginaire botanique de Fortier contribue ainsi à repenser les relations entre l’humain et les plantes à l’ère de l’extrême contemporain. Fortier favorise effectivement une vision végétale de la spiritualité et ouvre un espace où la plante devient non plus uniquement un élément passif où réside un sacré interdit, mais un agent à part entière avec lequel il est possible d’entrer en relation.
Notre projet analysera comment l’attention portée au végétal (Laugier, 2018) favorise une rencontre particulière avec les plantes, qu’elle soit spirituelle, mystique, symbolique, rituelle, intime ou communautaire. À cet effet, dans Du bon usage des étoiles, l’herbier renvoie vers l’intériorité et le thé, lors des cérémonies, devient un vecteur de lien, alors que, dans Les larmes de saint Laurent, la forêt devient le lieu d’un contact symbolique avec les ancêtres. Il s’agira d’examiner comment cette perception affinée du végétal ouvre l’accès à des réalités suprasensibles, où celui-ci devient à la fois un lieu de transcendance et d’immanence. Nous explorerons également la manière dont la relation entre l’humain et les plantes génère des formes de création (Bouvet et al., 2024), comme dans La porte du ciel, où le tissage du coton façonne l’identité des personnages. Cette dynamique s’observe aussi dans l’écriture, notamment dans Les villes de papier et Les ombres blanches, qui explorent l’empreinte sensible et spirituelle de la botanique dans la poésie de Dickinson. Ces gestes, inspirés par l’univers végétal, révèlent une dimension sacrée sous-jacente à l’acte de création. Nous étudierons le rôle du chronotope (Bakhtine, 1978) végétal dans l’œuvre de Fortier, notamment dans Au péril de la mer, où le jardin monastique fait écho au jardin d’Éden, articulant ainsi les espaces-temps mythiques, symboliques et religieux. En forgeant des lieux autres, où le réel se réinvente (Foucault, 2009), ce chronotrope redéfinit le rapport des personnages au sacré.