Compte-rendu | Flexibilité et résistance, de grandes alliées
Compte rendu de l’atelier « Résistance et flexibilité végétales: tressage de fibres et nouage de liens » organisé par Maude Flamand-Hubert, Christine Tougas, Laurence Boudreault et Rachel Bouvet dans le cadre du Partenariat ReVe. Université Laval, Québec, 15-16 novembre 2024.
Flexibilité et résistance, de grandes alliées
Les doigts se délient tandis que la tresse se lie. Le silence et le climat de camaraderie cohabitent. L’œuvre collective prend tranquillement forme, promesse d’une structure enveloppée d’yeux de Dieu.

Avec patience et concentration, il faut travailler avec la flexibilité et la résistance des fibres végétales pour construire quelque chose de solide, en équilibre. Parce que l’une ne va pas sans l’autre. Parce que la résistance est liée à la flexibilité. Ce ne sont pas que les fibres de quenouilles (ou massette à feuilles étroites, Typha angustifolia), d’iris (Iris), de joncs (Juncus) et de scirpes (Scirpus) qui ont été tressées durant ces deux jours d’ateliers. Les arts, les traditions et la science se sont aussi entremêlés. L’œuvre collective initiée par Nathalie Levasseur, où chacun des participants a ajouté sa propre touche, était la conclusion de deux journées de maillage dans le plaisir.


Les végétaux ont été au cœur des discussions durant cette rencontre organisée par le partenariat ReVe (Reconnecter avec le végétal et l’environnement) mis sur pied par le GRIVE (Groupe de recherche interdisciplinaire sur le végétal et l’environnement), sous la thématique Résistance et flexibilité végétales : tressage des fibres et nouage de liens, qui se tenait les 15 et 16 novembre 2024.
La discussion a débuté le 14 novembre avec une projection de travail du film Tcimanic. Le petit canot d’écorce, réalisé par Nicolas Pouliot et Étienne Belles-Isles. Le montage encore inachevé n’a pas empêché les images et les mots recueillis à Opitciwan par les réalisateurs de s’imprégner de la lenteur, des silences entourés de respect et de la joie de vivre typique des Atikamekws, tandis qu’un petit canot d’écorce de bouleau prenait forme selon les traditions de cette communauté.
Le film est un éloge de la lenteur, de la vie en communauté et du partage de connaissances. Les spectateurs ont reçu ces enseignements avec respect et ouverture et les réalisateurs ont pris le temps de répondre aux questions du public médusé.
Recherche de matériaux
Près d’une trentaine de personnes se sont rejointes le lendemain au pavillon Gene-H-Kruger de l’Université Laval, pour poursuivre la conversation.
Laurence Boudreault, étudiante au doctorat en sciences forestières, a présenté les résultats de son projet sur le frêne noir (Fraxinus nigra) utilisé dans la fabrication de paniers traditionnels chez les W8banakis. La conception de ces paniers avait d’abord une vocation pratique, puis est devenue une activité économique importante qui leur a permis de préserver leurs traditions malgré les pressions exercées par la colonisation.

Depuis quelques années, la qualité de la matière est menacée par les changements climatiques et globaux, qui s’ajoutent aux difficultés d’accès à la ressource. La présentation du projet de recherche a permis d’immerger le public dans le processus complet de la fabrication des paniers traditionnels en frêne (Fraxinus nigra), de la récolte de l’arbre au tressage des éclisses.
Laurence Boudreault a résumé les différentes étapes, de la recherche, identification et récolte des spécimens répondant aux critères de qualité recherchés pour la vannerie par les porteurs du savoir d’Odanak; battage des billes de frêne (Fraxinus nigra) à dos de haches et préparation des éclisses, tressage des fibres pour mener au produit fini, donnant forme à une vaste gamme de paniers aux fonctions variées, utilitaires ou décoratives.
Au fil des différentes étapes, elle a documenté les propriétés mécaniques et anatomiques des différentes tiges et des éclisses de bonne, de moyenne et de mauvaise qualité, s’appuyant sur les liens à nouer entre la science et les savoirs traditionnels pour développer des stratégies culturellement pertinentes pour la Nation W8banaki.
Dans les laboratoires du CRMR, le groupe a été initié à quelques notions fondamentales de mécanique du bois. La résistance et l’élasticité ont été mises à l’épreuve jusqu’au point de rupture en réalisant différents tests sur des baguettes de différentes essences.



Un panier qui prend vie
En demi-cercle autour de l’artisan, les participants ont écouté Alfred Gagnon raconter son histoire à propos des paniers à patates et à légumes.
Pendant un instant, la vannerie est revenue à sa plus pure définition, soit la fabrication d’objets tressés grâce à des tiges et de la fibre.
Tandis qu’il choisissait dans une pile de branches de cornouiller hart-rouge, qu’il se refuse à nommer ainsi, Alfred raconte comment il en est venu à fabriquer ses paniers utilitaires. Ses mains insèrent à la bonne place les branches de cornouiller cueillies avec soin sur ses terres sur les tiges de noisetier (Corylus avellana) qui lui servent d’armature. Son panier prend vie en même temps que son histoire.

Photo 8: Démonstration de vannerie par Alfred Gagnon : taillage des tiges de noisetier (Corylus avellana).
Avec sa verve spontanée, il raconte son expérience, le choix de ses tiges et la passation du savoir. C’est la fabrication de raquettes à neige qui l’a fait bifurquer vers les paniers utilitaires. Même si son père en avait déjà fabriqué, il ne l’avait jamais observé travailler. C’est un voisin qui lui a transmis oralement la méthode qu’il s’est fait un honneur d’apprendre. Les gestes sont aujourd’hui fluides, automatiques, presque.

Photo 9 : Démonstration de vannerie par Alfred Gagnon : assemblage de l’arceau (armature du panier).
Il faut dire que l’histoire a été omniprésente durant ces deux jours d’atelier puisque le tissage de la fibre végétale est ancestral et un retour aux sources intéresse de plus en plus les gens. Ce retour passe par un regard vers le passé. Et cette rencontre avec Alfred Gagnon ne faisait pas exception à la règle.
Des monuments inspirés de la nature
Avec sa longue feuille de route, l’artiste sculpteur Patrick Moisan fait lui aussi des clins d’œil au passé à travers ses œuvres monumentales. Il est venu présenter ses démarches et quelques-unes de ses réalisations ayant la fibre et le bois comme matériaux principaux. Dans une conversation animée par l’artiste, enseignante et étudiante au doctorat Christine Tougas, il a raconté comment les savoirs-faire traditionnels l’ont nourri dans sa démarche.
Sa démarche implique des recherches sur les traditions, mais aussi sur les événements historiques qu’il souhaite aborder. Son art prend du temps, comme c’est le cas des démarches artistiques des intervenants du week-end.
« Glissoire » en est un exemple des plus probants. Il lui aura fallu trois ans pour préparer cette œuvre monumentale et trois autres pour la réaliser, dans un parc d’Alma. Durant les trois premières années, il a dû présenter le projet, consulter et convaincre la population, il a dessiné, relié le projet à l’histoire et choisi les essences pour que le bois survive au temps et aux intempéries.
Et puis en gardant toujours un œil sur les traces du passé, Patrick Moisan sait regarder vers l’avenir. La création du Laboratoire vivant KM3 par le centre d’artistes BANG, dont il est directeur général, a ouvert pour lui un nouveau terrain de jeu.
Cette acquisition est venue bouleverser sa vision de la forêt. Son arbre préféré a même changé!
Un éventuel projet sera par ailleurs tourné vers les technologies tridimensionnelles afin de faire une représentation numérique et en temps réel du vivant, sujet aux saisons, avec la technologie LiDAR au sol.

Les fibres du maïs
Ce samedi déjà enrichissant s’est conclu au musée huron-wendat, à Wendake, en compagnie de l’artiste Manon Sioui. Avec générosité et joie de vivre, l’artiste wendate a présenté son travail et les matières avec lesquelles elle travaille.
Matière chouchou et aliment au cœur des traditions wendates, le maïs est en vedette dans ses créations. Les feuilles du maïs (Zea mays) se sont frayé un chemin à travers les traditions de cette nation avec la fabrication de poupées pour occuper les enfants pendant que les femmes travaillaient au champ. Une légende racontée de génération en génération relate l’importance de cette culture pour eux.
L’époustouflant musée était le lieu idéal pour ce partage intime avec l’artiste.

Nouer des liens
Le samedi s’est ouvert sur une table ronde avec Rachel Bouvet et Nathalie Levasseur. Les paniers tressés ont une signification particulière pour Rachel, qui garde un profond souvenir de ceux qu’elle a appris à faire avec son grand-père alors qu’elle était adolescente. La question de la transmission d’un savoir familial est au cœur de ses réflexions, comme le montre le texte qu’elle a écrit sur la “barruche”, un genre de corbeille faite avec de la molinie bleue (Molinia caerulea) et de la ronce (Rubus L.). Elle a aussi lu l’extrait d’un récit dans lequel la confection de paniers en osier occupe le premier plan. Bien conservés, les paniers résistent au temps et à la disparition des ancêtres. Les récits prennent le relais des traditions rurales et permettent de les garder vivantes.
Nathalie, tout aussi intéressée par le passage du temps, s’assure en général de collectionner l’éphémère en capturant sur photogravure ses œuvres exposées aux intempéries et au soleil. Et comme elle travaille dans l’éphémère, avec de la matière entièrement biodégradable, il lui faut accepter la mort de ses créations au fil des saisons.
L’artiste vannière a présenté quelques-unes de ses œuvres et a abordé avec passion sa démarche et ses techniques. Ses structures monumentales impressionnent par leur grandeur. C’est le cas de “Laisser respirer”, œuvre In situ qu’il faut voir à différents moments de la journée pour saisir son ampleur et sa fragilité.
Ou encore, “Mes racines, ma terre”, cet immense mur formé d’environ 300 fonds de chaises, depuis lequel il est possible d’observer le fantôme tressé d’une souche.

La conversation a été entrecoupée de moments de lectures, alors que Rachel a lu quelques passages de ses textes évoquant la vannerie. Les mots portés par sa voix étaient un temps de réflexion, de respiration, dans cette matinée qui donnerait bien vite la place au travail manuelLes liens ont fini de se nouer avec la création collective, intitulée “Promesse”.
Sous les enseignements de Nathalie, une vingtaine d’yeux de Dieu réalisés avec des feuilles de quenouille (ou massette à feuilles étroites, Typha angustifolia), d’iris (Iris), de joncs (Juncus), de scirpes (Scirpus) et des brindilles de saule (Salix) ont été créés puis ont recouvert un grand dôme fait de vignes (Vitis) et inspiré de techniques japonaises. De longues tresses collectives ont ensuite été ajoutées à l’œuvre en devenir.
Au terme de cet atelier, il est évident que les arts et la science s’influencent mutuellement. Ce qui est ressorti de ces échanges, c’est l’importance de se lier, de se relier par le partage.
Comme dans la vie humaine, on constate que la résistance, souvent mal-aimée, est en fait nécessaire à l’équilibre végétal. Qu’ensemble, des éléments connus pour leur flexibilité deviennent plus forts. La résistance et la flexibilité font équipe pour la construction d’œuvres tressées ou d’objets utilitaires en vannerie. À dénouer les résistances, on apprend leur utilité. Les apprentissages tirés du travail des fibres végétales se font le miroir du travail nécessaire pour nouer des liens entre les savoirs et les disciplines, entre les humains, chercheurs et chercheuses, artisans et artisanes, et artistes qui les portent et les transmettent.
Le comité organisateur, formé de Maude Flamand-Hubert, Christine Tougas, Laurence Boudreault, Laetitia de Coninck et Rachel Bouvet, tient à remercier ses partenaires, sans qui cet atelier n’aurait pu avoir lieu, soit la Faculté de foresterie, de géographie et de géomatique de l’Université Laval, le Centre de recherche sur les matériaux renouvelables, ainsi que le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada. Il remercie aussi les intervenant.e.s et les participant.e.s à l’atelier pour leur présence stimulante et leur enthousiasme communicatif.
Compte-rendu rédigé par Cynthia Laflamme, avec la collaboration de Maude Flamand-Hubert, Rachel Bouvet, Laetitia de Coninck et Charlotte Cany. Crédit photo: Laetitia de Coninck
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Pour visionner la video: « Résistance et flexibilité végétales: tressage de fibres et nouage de liens ». 2025. Observatoire de l’imaginaire contemporain. En ligne sur l’OIC, Observatoire de l’imaginaire contemporain